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«Je ne veux pas retourner au bureau» : ces salariés prêts à tout pour rester en télétravail

Par Laetitia Lienhard
8 - 9 minutes

TÉMOIGNAGES - Reprendre le chemin de l'entreprise ? Très peu pour eux. Certains employés souhaitent plus que tout garder leurs nouvelles habitudes.

Retrouver l'open space, reprendre les transports en commun souvent bondés, porter le masque toute la journée… Retourner plus fréquemment au bureau n'a pas que des avantages. Et certains salariés ont bien l'intention d'y échapper. Pourtant, le temps du télétravail «à 100%» est révolu. Le nouveau protocole sanitaire en entreprise est entré en vigueur mercredi, redonnant la main aux sociétés pour définir le rythme de télétravail dans le cadre du dialogue social. Une décision qui ne fait pas que des heureux.

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« Je ne veux pas du tout retourner au bureau, revendique Elisabeth, directrice de la communication d'une PME. Pour me rendre dans les locaux, j'ai 2h30 de trajet en transports en commun aller-retour. C'est fatigant. Durant cette année, j'ai prouvé que je remplissais mes objectifs à distance, je ne vois pas l'intérêt de revenir au bureau.» En 100% télétravail depuis le 16 mars 2020, cette quinquagénaire n'a pas eu d'information de la part de son entreprise sur le rythme qui va être mis en place dans les semaines à venir. «Ça ajoute de l'incertitude, c'est compliqué pour s'organiser», regrette-t-elle. Selon une enquête menée par l'association nationale des DRH (ANDRH), 23 % des DRH souhaitent qu'en septembre leurs équipes soient en présentiel à 100 %, quand 19 % se prononcent pour 2 jours de télétravail par semaine et 15 % pour un seul jour.

Certains salariés ont opté pour une solution radicale et sont allés jusqu'à déménager depuis le début de la crise. Selon la dernière enquête de l'ANDRH, 30 % des DRH affirment avoir été confrontés à des demandes de salariés qui, après avoir déménagé ces derniers mois, sollicitent une adaptation de leurs conditions de travail. Cette situation inédite pose des questions, notamment de prise en charge des frais de transport et d'hébergement. Vincent, jeune trentenaire travaillant en région parisienne dans une entreprise d'énergie, souhaite notamment déménager dans le Sud de la France : «Je préfère avoir l'accord de ma hiérarchie avant de changer de ville. Pour le moment, ils sont assez réticents mais je compte bien renégocier.


«J'angoisse beaucoup de reprendre en présentiel »

Au-delà des trajets et du cadre de vie, la perspective de travailler à nouveau en open-space pose parfois problème. Après avoir passé plusieurs mois à s'employer à la tâche dans un endroit souvent isolé ou calme, il est difficile pour certains salariés de s'imaginer retravailler dans un contexte relativement bruyant. « Je suis beaucoup plus efficace en travaillant de chez moi. Pour me concentrer, j'ai besoin de calme. En open-space, il y a toujours un fond sonore. C'est épuisant », regrette Louise, fonctionnaire de 40 ans. Elle n'est pas retournée au bureau depuis le 16 octobre. Depuis mercredi, les fonctionnaires passent à trois jours de télétravail par semaine. « Il nous est conseillé de revenir mais ce n'est pas imposé. J'angoisse beaucoup de reprendre en présentiel. J'ai l'impression de devoir retourner dans une sorte de fourmilière où on est systématiquement sollicités », avoue-t-elle.

 

Alors que le coronavirus circule toujours, le retour dans les locaux de l'entreprise peut s'avérer anxiogène d'un point de vue sanitaire. « Il y a deux semaines, je suis venue pour une réunion. J'ai été obligée de déjeuner avec des collègues qui ne respectaient pas du tout les gestes barrières. Je ne supporterais pas d'attraper le Covid-19 au bureau alors que je me suis privée de voir ma famille et mes amis pendant plus d'un an », revendique Marie, designeuse de 28 ans.

Cette angoisse de retour en présentiel peut être extrêmement forte chez certains salariés, jusqu'à être qualifiée de «syndrome de la cabane» ou «de l'escargot». Ce mal-être, exacerbé par la crise du Covid-19, correspond à la peur de sortir de son lieu d'enfermement. «C'est une peur de se déconfiner et de se confronter au monde extérieur. Ce n'est pas pas une pathologie psychiatrique ni une maladie, c'est un état émotionnel transitoire qui a vocation à s'améliorer si on le prend en charge», explique Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne. Face à ce qui peut aller jusqu'à une phobie sociale ou un trouble anxieux généralisé chez un patient, le psychiatre peut demander à ce que le salarié reste en télétravail, mais cela doit être validé par le médecin du travail. Un dialogue s'opère alors entre les deux professionnels de santé pour évaluer la situation.

« L'individuel ne doit pas prendre le pas sur le collectif »

Malgré leurs raisons différentes de ne pas souhaiter revenir en présentiel, ces salariés sont unis par leur souhait de négocier un maximum de jours à distance. « Je vais discuter avec ma hiérarchie en leur montrant que c'est mieux pour moi de rester en télétravail mais aussi pour eux vu que je suis plus efficace. Je vais tout faire pour rester en télétravail le plus possible », déclare Louise. Elisabeth sera quant à elle plus radicale, si nécessaire. « Si je dois revenir au bureau et que je vois que mes objectifs professionnels mais aussi personnels sont de moins en moins atteints parce que je suis à nouveau stressée et fatiguée, je serais capable d'inventer des rendez-vous à l'extérieur pour cacher le fait que je télétravaille », avoue-t-elle.

S'ils ne sont pas entendus, les salariés qui souhaitent rester en télétravail pourront en dernier recours se tourner vers des entreprises qui le pratiquent. «Les sociétés qui ne seront pas flexibles sur le télétravail seront nettement moins attractives. Au contraire, pour celles qui le proposeront, cela représentera une vraie valeur ajoutée pour attirer des talents», met en avant, David Bernard, cofondateur d'Assessfirst, entreprise spécialisée dans le recrutement prédictif.


Elles ne sont cependant pas si nombreuses. Selon une récente étude de la société d'études et de courtage Willis Towers Watson, 2% des entreprises qui ont adopté une politique de télétravail pour l'après crise ont fait le choix d'un télétravail cinq jours par semaine. Elles ne sont même que 15% à l'autoriser trois jours. Elles sont souvent de petite taille et technologiques: leurs salariés sont à l'aise avec les outils collaboratifs qui facilitent les échanges et la coordination à distance.

 

Ces dialogues entre les salariés et la hiérarchie, que ce soit avec les managers ou les DRH, vont nécessiter du temps et de nombreux échanges. Mais Audrey Richard, la présidente de l'association nationale des DRH (ANDRH) rappelle que « l'individuel ne doit pas prendre le pas sur le collectif. »